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Le point aveugle


point aveugle


En ce temps d’incertitude, le thème même du changement est devenu un leitmotiv. Il est de plus en plus utilisé comme un mot passe-partout visant le plus souvent à masquer l’incapacité à assumer un leadership mobilisateur. Pressés de toute part par les exigences du contexte actuel, nombreux sont les dirigeants qui cherchent, dans la mise en œuvre d’un changement, à enclencher un processus qui leur permettra d’une part de gagner du temps et d’autre part de détourner l’attention de leur incapacité à mobiliser les individus autour d’une vision stimulante. Si cette attitude entraîne des conséquences plutôt négatives dans le domaine privé, elle garde toute son « utilité » dans le domaine public en permettant de canaliser l’insatisfaction ressentie par la population devant la sempiternelle répétition des problèmes qui semblent préoccuper le quotidien des élus politiques. Ces derniers, en voulant donner l’image d’individus non seulement à l’abri des vicissitudes du monde actuel mais capables de tenir en laisse l’incertitude qui les entoure ne craignent pas de plonger les organisations publiques dans des bouleversements successifs dès que leur incapacité d’anticipation devient trop évidente. Cette réaction a pour conséquence de placer les organisations publiques dans un état de perpétuelle réforme, d’enclencher un faux sentiment de sécurité auprès de la population et d’émousser la vision même du changement comme facteur de mobilisation.

Un état de perpétuelle réforme.

Depuis les années 1990, les organisations publiques sont la cible de bouleversements enclenchés d’abord par l’état des finances publiques puis par l’incapacité des politiciens à proposer une alternative valable à l’omniprésence de l’État. Ce faisant, les organisations publiques ne peuvent compter sur aucune autre garantie de stabilité que l’inertie qui les a, parfois, si souvent caractérisées. Cette inertie reposait sur la croyance que le système public était quasi éternel et à l’abri des menaces auxquelles ne pouvait échapper le système privé. Les faits ont démenti cette croyance mais les managers des organisations publiques ont préféré le chant des sirènes et attendu, en vain, un sauveur qui n’est pas venu. Conséquemment, devant la dégradation des finances publiques et devant la difficulté du système public à composer avec les nouvelles attentes de la population, les politiciens se sont sentis dans l’obligation d’afficher une fermeté de façade et d’imposer aux organisations publiques une cure minceur universelle.

En agissant ainsi, ils encourageaient, sans trop s’en rendre compte, la population à devenir de plus en plus critique à l’égard des organisations publiques sans percevoir qu’ainsi les attentes augmentaient au moment où la capacité des organisations à y répondre diminuait du fait des décisions du monde politique. Les politiciens ont enclenché un rétrécissement du rôle de l’État sans énoncer un nouveau paradigme à l’égard de cette « nouvelle » présence. Au fur et à mesure que les organisations publiques tentent de rencontrer les objectifs de compression qu’on leur assigne, elles se voient confrontées à de nouveaux bouleversements qui découlent des réaménagements qu’on leur demande de réaliser à la suite de fusions, d’intégrations ou de modifications sensibles de leur responsabilité. Bref, sans trop connaître leur véritable destination, les organisations publiques doivent constamment faire face à de nouvelles réformes qu’elles ne peuvent jamais mener jusqu’au bout. .

Un faux sentiment de sécurité.

En voyant les organisations publiques constamment plongées dans des modifications structurelles, la population garde tout d’abord l’impression que le monde politique est fermement orienté vers la recherche de la meilleure solution pour s’assurer que le système public puisse faire face à l’incertitude. Sans le

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vouloir, du moins officiellement, les politiciens discréditent les fonctionnaires et le système public en général en les faisant paraître inaptes à affronter la situation actuelle. De changement structurel en changement structurel, le système public passe plus de temps à tenter de s’adapter à la dernière modification proposée qu’à remplir l’office qui lui a été dévolu. Cela incite les citoyens à croire que ce n’est pas tant le monde politique qui cherche une issue que le monde administratif qui tourne en rond !

La population en vient donc lentement mais sûrement à « politiser » de plus en plus ses demandes et à se servir des médias comme le moyen le plus sûr d’obtenir satisfaction à ses besoins. La création de commissions et de groupes d’enquête qui en résulte lui donne l’impression d’avoir une emprise sur l’insécurité qu’elle ressent ou tout au moins lui donne l’opportunité de se décharger de ses griefs à l’encontre du système public sans pour autant trop écorcher le monde politique. Cela donne l’illusion que ce monde politique prend en charge les inquiétudes de la population et qu’il va mettre en œuvre des moyens susceptibles de répondre à ses attentes. Mais les réponses deviennent de plus en plus parcellaires et l’inquiétude ravive, malgré les énoncés de prise en compte des problèmes présentés, l’insécurité ressentie. Le changement devient une fuite en avant.

Une vision émoussée du changement.

Cette attitude du monde politique conduit à mettre de l’avant une vision émoussée du changement dans laquelle ce dernier est décrit à la fois comme le remède à tous les maux et un contexte auquel on ne peut plus échapper. Bref, le changement est présenté comme étant à la fois la source et l’objectif des mesures mises en œuvre. Le monde politique pénètre alors dans ce que l’on peut appeler le « point aveugle » de la gestion publique dans lequel la vision que l’on a de l’environnement est nécessairement tronquée par l’éblouissement des multiples facteurs en cause. On ne voit plus que l’on fait du changement tantôt la source des difficultés rencontrées et tantôt le moyen d’y échapper ! On comprend alors toute la pression qui pèse sur les organisations publiques lorsque le monde politique se positionne dans ce point aveugle.

Le plus périlleux, dans cette attitude, c’est le lent mais inexorable détachement que la population acquiert à l’égard du monde politique d’une part et le cynisme qu’elle développe à l’égard des organisations publiques d’autre part. Le danger de cette dérive c’est la perte de confiance que l’on observe autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des organisations publiques. Or, en période de turbulence, la confiance est essentielle pour accepter les gestes et les sacrifices nécessaires pour la traverser. Sans cette confiance, l’insécurité ressentie amène les individus à recherche des solutions où la satisfaction immédiate prime et où l’individualisme l’emporte au détriment de l’ensemble.

Conclusion

En période d’incertitude, plus qu’en tout autre moment, l’attitude du monde politique devient déterminante à plus d’un titre. D’abord, elle donne la mesure du type de changement auquel sont confrontées les organisations publiques lequel met en veilleuse les enjeux à l’avantage du structurel et du conjoncturel. Ensuite, par sa fuite en avant, le monde politique n’assume plus le leadership qui serait nécessaire en temps de turbulence et renvoie, par ses digressions partisanes, les électeurs aux questions particulières qui les préoccupent et les détache de plus en plus du « vivre ensemble » essentiel à l’harmonie d’une société. Finalement, cette attitude du politique fait du changement un mot de plus en plus creux où, comme dans le légendaire « Au loup! Au loup! », plus personne ne veut croire aux nombreux signaux avertisseurs des bouleversements à venir. Bref, le point aveugle nous masque la réalité.

Raymond Vaillancourt

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