Pour bien gérer le changement  Prospect Gestion 

La rectitude politique en gestion du changement


rectitude


Une approche comptable

En période de bouleversement organisationnel, la frontière entre le management et le politique apparaît plus ténue que jamais d'autant plus que le politique fait également face à une désaffectation et un cynisme croissants. Ainsi, il ne faut guère s'étonner que les maux affectant le politique se retrouvent tout autant au cœur de la gestion. La rectitude politique fait partie de ces éléments qui ont lentement mais sûrement imprégné le management quotidien. Qu'entendons-nous par " rectitude politique " en gestion ? Ce terme recouvre deux réalités à la fois. D'une part, il désigne le fait qu'à partir du moment où, tout comme en politique les élus, se sentant impuissants à résoudre un problème, utilisent un langage qui a pour effet de dédramatiser ou de banaliser une situation, les managers usent de cette même approche pour tenter de minimiser leur incapacité à affronter les changements auxquels eux et leurs organisations sont confrontés.

D'autre part, la rectitude politique recouvre le fait de rendre plus tolérables certaines pratiques ayant cours, dans la réalité quotidienne des organisations, en les censurant dans le langage. C'est ainsi que sont apparus de nombreux mots pour masquer les effets négatifs de l'incapacité managériale à faire face aux nouveaux paradigmes. Par exemple, pensons à " reconfiguration ", " ré ingénierie " , " aplatissement des structures ", " dé localisation " pour n'en citer que quelques uns; ce sont à la fois des mots qui désignent une réalité concrète et des processus parfois nécessaires mais qui masquent aussi des conséquences négatives que l'on n'ose pas mentionner comme " licenciement ", " mise à la retraite ", " réaffectation " et " fermeture ".

Ce faisant, on tient un langage comptable pour décrire des réalités aux impacts affectifs et relationnels importants et on masque discrètement l'incapacité de plusieurs managers à mettre en œuvre de véritables changements organisationnels. Ces derniers sont plutôt assimilés à des modifications structurelles que l'on met de l'avant en lieu et place de transformations qui reflèteraient les modifications de paradigmes qu'il faudrait envisager. Les modifications de structure sont relativement simples, visibles et donnent l'apparence de changement et de bouleversement essentielle à l'image du manager soucieux de laisser croire qu'il peut affronter la réalité avec une main de fer. Par contre, les transformations liées à des modifications de paradigmes exigent de revoir le type même de managers dont les organisations ont besoin pour affronter la réalité actuelle. Or comme l'on continue de s'appuyer sur les aptitudes du passé pour résoudre les problèmes d'aujourd'hui, il ne faut guère s'étonner que les organisations publiques, en particulier, soient parmi celles qui éprouvent le plus de difficulté à s'adapter à la nouvelle conjoncture. De plus, le monde politique, de qui elles émargent, n'y est pas préparé ni sensible.

En effet, combien de réformes ont été entreprises par ceux-là mêmes qui les avaient rendues nécessaires sans que cette incongruité ne soit soulevée ? Combien de nouveaux plans sont apparus et dont la réalisation a été confiée à ceux-là mêmes qui n'avaient pas réussi à mettre en place les précédents ?

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Combien d'erreurs managériales ont été imputées à la conjoncture ou encore à la mondialisation, déresponsabilisant ainsi ceux qui les avaient commises ? Combien de chevaliers d'industrie auront réussi à relancer, pour la " énième " fois une nouvelle entreprise qui, comme les autres avant elle, laissera sur le carreau des clients et employés floués ? Combien de fonds publics sont octroyés pour pallier les erreurs de systèmes hospitalier et éducatif à titre d'exemples, qui ne réussissent pas à s'orienter véritablement clientèle ? Et la liste pourrait encore s'allonger.

Bref, on pourrait dire qu'en période d'incertitude le politique d'abord, le management ensuite, s'intéressent moins aux réponses nouvelles qu'il faudrait apporter qu'à la possibilité que les questions ne leur soient pas posées ! La rectitude politique est au langage ce que la télé réalité est aux médias : un moyen d'imposer une vision du monde rassurante et aseptisée pour faire oublier la dégradation des rapports sociaux, l'incapacité des " élites " à voir et à composer avec les nouveaux paradigmes et la lente érosion du concept de responsabilité.

La préoccupation de l'image

Trop influencée par un agir politique quelque peu handicapé par la conjoncture actuelle, la gestion est devenue " image ", non pas au sens de représentation mais au sens de distraction de la réalité sous-jacente. Ce que l'on nous dit cache ce que l'on ne nous dit pas, tout comme ce que l'on nous montre camoufle ce que l'on ne nous montre pas ! Plusieurs managers se blindent d'une carapace inspirée des anciens paradigmes pour non seulement cacher leur incompétence à affronter la nouvelle réalité mais surtout pour laisser croire qu'ils continuent d'avoir la situation bien en main ! Cette attitude apparaît davantage dans le domaine public que dans le domaine privé bien que ce dernier n'en soit pas à l'abri. Le domaine public doit sa plus grande vulnérabilité à cette forme d'incompétence parce qu'il est plus proche du politique et que ce dernier, sur la pente de la décadence, l'entraîne avec lui. C'est ainsi que l'on peut justifier les conflits d'intérêts évidents, les nominations partisanes à la chaîne, les abus de confiance et les manquements d'éthique. Ce n'est pas parce qu'on les drape dans une quelconque " raison d'état ", d'un " sain compagnonnage ", d'une " dérive passagère " ou d'une " faiblesse déontologique " que la situation s'en trouve changée ! C'est cependant ce que l'on veut nous laisser croire et, si on en juge par le peu de réactions qu'entraînent de tels comportements, le subterfuge fonctionne très bien !

À cet égard, le vocable " changement " apparaît tout autant comme la source et le remède à tous les maux qu'entreprises et organisations rencontrent sur leur parcours. Tout comme la " mondialisation " sert de prétexte et de justification à bon nombre de transformations rendues davantage nécessaires par l'inaction de certains managers à anticiper les changements de paradigmes en cours. Dans ce cas, le " changement " sert d'échappatoire au cul de sac dans lequel certaines entreprises privées et bon nombre d'organisations publiques se retrouvent plongées. En d'autres mots, on recherche dans le changement, davantage un moyen de brasser la structure qu'une façon d'articuler l'organisation en fonction des modifications profondes rendues nécessaires par l'émergence des nouveaux paradigmes.

C'est ainsi que les réformes, dans le domaine public, se succèdent sans qu'aucune d'entre elles ne soient véritablement menées à terme, laissant les employés essoufflés et désireux de se sortir le plus tôt possible de ce cycle infernal et, dans certains cas, de songer à leur retraite avant même d'avoir entrepris leur vie de travail. De même, des entreprises vont de délocalisation en délocalisation à la recherche d'un meilleur rendement pour leurs actionnaires tout en se surprenant de voire poindre, chez leurs employés, un cynisme de plus en plus grand à l'égard de valeurs comme la responsabilité et la loyauté envers l'entreprise. Tout comme la rectitude politique entraîne des discours vides de sens même si les mots sont élégants, le management se drape dans l'utilisation de visions à courte vue sans prendre conscience des dangers que cette attitude génère sur la mobilisation des personnes.

Raymond Vaillancourt

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