Pour bien gérer le changement  Prospect Gestion 

La légitimité du contenu


légitimité du contenu


Une définition:

Le contenu prend sa légitimité dans la mesure où les prémisses qui ont donné naissance au changement sont ceux-là mêmes que l’on évoque pour sa mise en œuvre. C’est ainsi que si un changement est amené pour des raisons de contraintes financières, il perd de sa légitimité de contenu si ceux qui l’enclenchent persistent à reléguer au dernier rang cette prémisse tout en l’énonçant dès qu’une modalité de la mise en œuvre s’en éloigne ou la compromet.

Peu importe le langage qu’on leur sert, les membres d’une organisation ont vite fait de comprendre que la cause du changement est strictement d’ordre financier et que sans cette contrainte, le changement dans lequel ils sont impliqués n’aurait pas été enclenché. Bref, le changement n’est que conjoncturel et le temps pourrait y mettre fin, si l’on sait bien manœuvrer à travers une résistance qui saura cacher son jeu.

La légitimité du contenu est celle à laquelle on se réfère le plus souvent pour expliquer les raisons mêmes du changement. Énoncées le plus fréquemment comme des évidences, ces raisons visent non pas tant à convaincre qu’à créer un momentum autour du projet de changement. Utilisée dans le prolongement de la légitimité du sens, la légitimité du contenu permet un éclairage plus précis du paradigme autour duquel s’articule le changement proposé. Elle permet également au manager de puissance de préciser sa vision et sous quel angle le changement proposé s’y insère. Elle favorise aussi les échanges autour d’une compréhension commune de la situation qui a donné naissance au changement et des objectifs poursuivis par sa mise en œuvre.

Pour le manager de pouvoir, cet exercice lui est d’un précieux secours afin de mesurer les forces en présence, la nature de l’équilibre ou du déséquilibre entre les tenants et les opposants ou les réfractaires et de distinguer ceux qui sauront tirer profit du changement et sur qui il pourra finalement compter. La légitimité du contenu est pour le manager de pouvoir un prétexte, une occasion de jauger les individus, d’identifier les pragmatiques et d’isoler les rêveurs. Elle est l’occasion de mettre à jour la liste de ses alliés, c’est-à-dire de ceux à qui il pourra déléguer une partie de la mise en œuvre parce qu’il sait comment les contrôler. Bref, contrairement au manager de puissance qui, dans le but de bien assumer la légitimité du contenu, va au front, le manager de pouvoir en profite pour se mettre en mode d’observation et fractionner, en une multitude de comités, la recherche de cette légitimité.

Si le sens du changement lui importait peu, contrairement au manager de puissance, son contenu ne lui importe pas davantage. Le changement étant annoncé, il faut le mettre en œuvre et c’est ce à quoi il va s’attaquer en faisant en sorte que son pouvoir en sorte grandi. Le changement est pour ce dernier une occasion, une étape de sa carrière et l’apparence du résultat sera pour lui déterminante.

index

Pour information ou commentaires, ou encore si vous êtes intéressé par la tenue d'un atelier ou d'une conférence sur le sujet:

courrier

C’est pourquoi il cherchera à mettre l’emphase sur les moyens qui lui seront accordés pour mener à bien ce changement. Ce faisant, il aura momentanément l’allure d’un chevalier au service de son organisation et qui ne veut pas l’envoyer au front sans armure ! Mais dans les faits, ce qui lui importera davantage sera d’évaluer le sérieux du projet de changement annoncé à l’aune des moyens mis à sa disposition. S’il est moyennement rassuré sur ce point, il passera outre aux hésitations des membres de son organisation, cadres comme employés, et visera essentiellement l’apparence des résultats. Il déplorera certes les conséquences humaines de cette attitude sur son organisation. Démotivation, absentéisme, « burnout » et autres manifestations de la perte de sens ne représenteront pour lui que le prix à payer pour mener à bien la tâche qu’on lui a confiée. Ce sera un « plus » pour sa carrière et c’est ce qui importe !

Quant au manager politique, le contenu trouve sa légitimité dans le fait qu’il a été énoncé par les décideurs, habituellement des politiques comme lui. Que le contenu soit en continuité ou non avec le passé, qu’il corresponde ou non avec, par exemple, la mission antérieure de son établissement ou de son organisation ou encore qu’il amène à mettre de côté ce que son équipe avait mis en œuvre importe peu. Il cherchera davantage à « consoler » les siens qu’à les défendre, à convaincre de passer à autre chose qu’à discuter des enjeux.

Bref, son dilemme est le suivant : comment faire le passage sans trop déplaire et sans trop se mettre de gens à dos. Pour lui également, les discussions autour de la légitimité du contenu lui serviront de théâtre pour évaluer ses appuis, sentir d’où vient le vent du changement et quelle est sa force véritable. Il sera plus enclin, que le manager de pouvoir, à laisser les gens exprimer leur sentiment autour du projet de changement dans le but de faire baisser la pression et de préserver son image d’homme ou de femme à l’écoute. Le manager politique, plus que les autres managers, vit de l’image qu’il projète et cette image, susceptible d’être mise à mal en période de bouleversement, est un bien trop précieux pour se permettre de la négliger dans ces moments particuliers.

Manager de pouvoir comme manager politique utiliseront donc la légitimité de contenu davantage comme un moyen de récupérer l’occasion que leur offre le changement pour asseoir leur emprise sur leur organisation. Toutes leurs déclarations quant au contenu du changement seront donc à prendre avec une pincée de sel. Ils diront tantôt ce que les autres veulent entendre sans le penser nécessairement, tantôt ce qu’ils doivent dire pour s’assurer que les enjeux relatifs au contenu du projet de changement ne viennent pas jeter de l’ombre sur leurs enjeux personnels. Ils n’oublient jamais qu’ils conduisent d’abord leur carrière avant leur organisation. Ils ne voient aucunement comment la légitimité de contenu pourrait ajouter à leur légitimité propre car celle-ci repose déjà essentiellement sur l’extérieur de l’organisation. Ils craignent justement, qu’en allant sur le terrain d’un contenu qu’ils ne possèdent pas ou peu, de devoir le défendre en lieu et place de ses initiateurs alors qu’ils seraient plus à l’aise de se porter à la défense de ceux qui les maintiennent en place. La légitimité du manager de pouvoir et du manager politique reposant essentiellement sur la notion d’autorité, c’est cette notion qu’ils ont tendance à rappeler et à défendre.

C’est là cependant un dilemme que le manager de puissance ne peut éviter et qui lui causera bien des ennuis. Car ce dernier vibre au contenu d’un projet de changement davantage qu’aux qualités de ceux qui l’ont enclenché. Il devra circonscrire cette faiblesse, en période de pénombre politique, au risque de se voir évincer de la conduite du changement voire de la conduite de son organisation. Il devra ménager son ardeur à la confrontation des décideurs si d’aventure le projet de changement fait montre d’une incohérence propre au monde politique ou si encore les moyens mis à la disposition de la mise en œuvre ne sont pas à la hauteur des ambitions énoncées dans l’annonce du changement. Il lui faut apprendre à décoder le langage du politique et à comprendre que ce que l’on dit dans ce milieu est plus important que ce que l’on fait même si pour lui l’un ne va pas sans l’autre. Il devra apprendre à jouer le jeu du pouvoir auprès de ses collègues managers, à ne pas mettre toutes ses cartes sur la table, à savoir écouter davantage que de parler même si on l’y invite. C’est parce que justement il accorde beaucoup d’importance au contenu dans un contexte où ce dernier ne compte guère qu’il lui faut être prudent et ne pas exiger du système dont il fait partie plus de cohérence que ceux qui le contrôlent et en vivent ne sont capables d’en donner ! C’est par le détachement, et non le désintérêt, des enjeux qu’il y parviendra. En s’intéressant davantage aux personnes que le manager de pouvoir et le manager politique ont tendance à le faire, il saura trouver la motivation à conduire un changement qu’il anticipera problématique. Il saura également ramener à de justes proportions l’énergie et l’engagement qu’il serait tenté d’investir pour faire du changement annoncé « son » changement.

Raymond Vaillancourt

bandeau